Le texte
d’Evangile des Béatitudes, qui est un extrait du sermon sur la montagne, que
l’on trouve en Matthieu 5, 1-12 et en partie dans Luc 6, 20-23 pourrait nous
surprendre dans les circonstances qui sont celles de notre temps. Comment
s’entendre dire « Heureux » alors que pour certains la situation de crise et
les problèmes financiers, les problèmes familiaux ou professionnels, et tant de
mauvaises nouvelles et autres choses nous clouent sur place ? On a souvent taxé
les Béatitudes comme un appel à la résignation ou une utopie qui permet de
rêver à un monde meilleur, en attendant que passe ce monde marqué par le mal.
C'est se méprendre sur le message des Béatitudes. Placées par Matthieu au tout
début du discours inaugural de Jésus, les Béatitudes sont les premières paroles
de Jésus. Par elles, Jésus ouvre un chemin d'avenir pour tout être humain qui
reconnaît sa pauvreté devant Dieu et veut changer quelque chose à sa vie, ou
qui veut trouver en Dieu le sens de sa vie. Les Béatitudes sont une
proclamation de bonheur dont la plénitude n'est peut-être pas pour aujourd'hui,
mais qui commence à être accessible maintenant.
Sans doute
nous faut-il regarder au-delà des apparences et essayer de comprendre à quel
bonheur le Christ nous appelle. « Heureux les pauvres de cœur », « Heureux ceux
qui pleurent », « Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice », « Heureux ceux qui sont
persécutés pour la justice ». Vaste programme qui nous oblige à regarder
au-dedans de nous-même. Il ne s’agit pas de n’importe quelle pauvreté, de
n’importe quelles larmes, de n’importe quelle faim ou persécution ! Non,
chacune de ces Béatitudes nous ouvre à plus que nous-mêmes. De toute évidence
cependant, le bonheur proclamé dans le premier membre de chaque béatitude ne se
comprendrait pas sans la promesse énoncée dans le second. Considérée en
elle-même, la situation présentant des pauvres (ou des pauvres en esprit) ne
pourrait pas être appelée heureuse. Elle n'apparaît telle que si on la
considère dans le rapport qui l'unit à un avenir. La pauvreté des pauvres, ou
l'humilité des pauvres en esprit, est porteuse d'avenir, gage de bonheur futur.
C'est par là qu'elle-même peut être appelée heureuse.
Appuyée sur
une promesse, la religion des béatitudes ne peut-être qu'une religion
d'espérance. Mais l'enracinement de la promesse dans une situation actuelle
préserve cette espérance de la tentation de s'évader hors du réel. Le présent
tire son sens de l'avenir dont il porte la promesse. Les contraintes et les
exigences du moment présent sont précisément les points d'où jaillit la joyeuse
espérance qui transfigure l'existence du croyant. Il s’agit de découvrir, au
creux de nos vies, ce qui nous anime réellement. Il s’agit également de
dépasser ce qui apparaît au premier regard et découvrir que, jour après jour,
quelles que soient les épreuves ou les joies vécues, nous ne sommes pas seuls
sur le chemin. Il y a la présence de Dieu à nos côtés qui nous aide à passer
les moments de déception et de souffrance, les moments de désert, et de deuil.
Cela est vrai pour aujourd’hui mais aussi au-delà : d’où le futur employé pour
certaines des Béatitudes. Il y a donc bien quelque chose qui nous est déjà
donné et quelque chose qui nous est promis. Et c’est notre Espérance chrétienne
: appelés à ressusciter, nous goûterons pour l’éternité l’amour inconditionnel
de Dieu. Alors nous seront consolés et rassasiés.
Les
Béatitudes, qui ouvrent le Sermon sur la montagne, constituent un véritable
programme pour parvenir à la liberté intérieure, pour être en accord avec soi. L'art
d'être heureux consiste aussi à savoir trouver le bonheur là où nous ne le
voyons pas. Mais, à l’instar de la publicité, n’appelons pas bonheur n’importe
quoi.
Georges HEICHELBECH