Nombreux sont
ceux qui ont encore à l’esprit la fraternisation émouvante entre soldats
allemands et français le soir de la trêve de Noël 1914 dans le film «Joyeux
Noël» où l’impensable se produisit : la fraternisation.
Moins connu
est sans doute cet autre aspect de la guerre 14-18 : la réconciliation des
Français entre eux... grâce à la vie passée dans les tranchées ! En quel sens ?
Et pourquoi en traiter ici ? Sinon parce que ce phénomène a profondément
impacté les rapports de l’Eglise et de la société française.
Un rapide
rappel historique permettra de mieux mesurer le clivage profond qui se creusa
entre une partie de la société française et l’Eglise ; en effet, l’opposition à
l’empire triomphe en 1879 et les Républicains, derrière Jules Ferry, prônent la
cité libérale, laïque et anticléricale (dont l’instituteur serait l’instrument
: le « hussard de la République ») jusqu’à la séparation, en France, des
Eglises et de l’Etat, en 1905 ; séparation précédée par ce véritable cyclone
qui s’abattait sur le clergé et les congrégations et qui accentua sa
marginalisation (loi de 1901 : loi d’association mais pas pour les
congrégations ; loi de 1904, fermeture de très nombreuses écoles privées et
expulsions des congrégations; plus d’enseignement religieux dans les écoles
publiques...).
Devant tous
ces événements et en une réaction brutale et de dernière solution, le pape Pie
IX promulgua l’Encyclique « Quanta Cura » et le Syllabus qui aura entre autres
effets que l’Eglise s’aliène bon nombre d’intellectuels et se sentait attaquée
de tous les côtés au point de se considérer comme une sorte de forteresse
assiégée, tentée de se replier sur elle-même. Le fossé se creusa aussi entre
l’Eglise et le monde ouvrier : face au socialisme qui développait un discours
plus radical que l’Eglise qui ne voyait pas dans la pauvreté une paupérisation
produite par le système capitaliste qui bouleversait toute la société
(naissance des cités ouvrières, dissolution de la famille...) ; l’Eglise ne
songeait pas encore assez à transformer la société mais à la soigner seulement
: on assimilait trop la justice à la charité. Il en résulte une véritable
marginalisation sociale de l’Eglise et de ses représentants les plus visibles :
le clergé et les religieux.
En résumé, du
fait de la déchristianisation, aussi bien dans les villes que dans les
campagnes (du Limousin, du Loiret, par exemple), il y avait au mieux une
indifférence grandissante à l’égard de l’Eglise et, au pire, une réelle
agressivité anticléricale.
C’est sur
tout cela que la guerre 14-18 va exercer son influence en modifiant la
perception de l’Eglise par la société et de la société par l’Eglise : une sorte
de réconciliation sortie, de façon inattendue, des tranchées.
En effet, la
guerre 14-18 a été l’occasion d’un immense brassage social du fait de
l’importance de l’effort militaire : du plus petit hameau pyrénéen jusqu’aux
grandes cités ouvrières et aux villes, de l’ouvrier et du paysan jusqu’aux plus
éminents intellectuels, ils étaient nombreux à se retrouver, côte à côte, à se
battre dans les tranchées. Parmi eux, environ 19000 prêtres, 7000 novices ou
religieux et 4000 séminaristes, sans compter les nombreuses religieuses, dans
les hôpitaux, à l’arrière. Mais, il y avait aussi entre 800 et 1000 aumôniers
et leur présence à eux tous avait symbolisé cette « union sacrée », expression
de la réconciliation entre l’Eglise et la République laïque. Dans de telles
conditions de solidarité, du fait aussi de l’expérience partagée de la terreur
dans les tranchées, les paroles échangées avaient du poids et du sens et
étaient l’occasion, pour les aumôniers notamment, non armés, intervenant
souvent à découvert, enrôlés comme infirmiers, présents dans les derniers
moments de la vie, de témoigner, de réconforter voire de remédier à la profonde
ignorance religieuse de certains. Et ils n’étaient pas les seuls parmi tant
d’autres religieux dont certains noms sont restés célèbres, comme celui du
jésuite Paul Doncoeur, ou du spiritain Daniel Brottier, (missionnaire devenu le
directeur des Orphelins d’Auteuil et béatifié en 1984).
Non seulement
l’Eglise et les religieux étaient perçus beaucoup plus positivement, mais ce
rapprochement avec le peuple contribua aussi à transformer la mentalité du
prêtre souvent trop coupé du monde par sa formation et son mode de vie et à
repenser en profondeur la pastorale. Plutôt que de tenter de faire entrer la
société dans l’Eglise, on comprit qu’il fallait aller dans la société, aller
vers les gens ; tout cela allait modifier aussi la manière d’envisager la pastorale.
Que
reste-t-il aujourd’hui de cette réconciliation ?
L’histoire ne
nous confirme-t-elle pas que la proximité et la réconciliation de l’Eglise et
de la société ne sont jamais acquises, qu’il faut sans cesse les repenser et
les réactiver par l’attention portée aux « signes des temps ». ?
Jean-Claude
WAGNER