Si la guerre se caractérise aujourd’hui comme une relation
d’état à état, elle a cependant toujours existé, au point qu’on peut se
demander si elle est inscrite de façon indélébile dans la nature même de
l’homme.
Les réponses
sont largement imprégnées d’idéologie puisque si pour les uns, l’homme est
naturellement bon, pour d’autres, il sera tout aussi naturellement un loup pour
l’homme. Qu’en est-il ? Aujourd’hui, on privilégierait l’aspect culturel donc
acquis, non inné : cela accréditerait l’idée que l’homme dépendrait très
largement de son éducation, des conditions matérielles et donc mentales dans
lesquelles il vit et qui le pousseraient à la guerre plutôt qu’à la paix.
Jaurès, par exemple, disait que « le capitalisme porte la guerre comme la nuée
l’orage » ; n’est-il pas vrai que le capitalisme pur et dur incite à
l’agressivité à travers la concurrence, impose la loi du plus fort ? Il a aussi
transformé la guerre en une énorme marchandise voire en une industrie qui se
décline en milliers d’emplois ; bref, beaucoup de grands industriels et de
simples ouvriers tirent leurs moyens de subsistance de la guerre. Et petit à
petit, insensiblement, la guerre a fini par prendre un autre visage, beaucoup
plus familier et donc plus facilement recommandable malgré certaines horreurs
historiques trop vite oubliées.
Abordée sous
cet aspect, la guerre ne serait plus tout à fait une fatalité mais un risque
variable selon les époques et dont le prestige varie selon les mentalités.
Si, cependant, la guerre se définit comme un rapport entre
états, il serait fort étonnant que la forme même de ces états n’y soit pour
rien dans le développement de la guerre.
Les régimes
dictatoriaux, à plus forte raison totalitaires, sont de réels dangers pour la
paix à cause de leurs tentations expansionnistes, de même que l’anarchie
internationale où chaque état s’arrogerait le droit de recourir à la violence
du fait de l’absence d’une autorité internationale forte et régulatrice (comme
l’ONU, par ex, devrait l’être). Donc la promotion de la paix passe aussi par un
choix politique et ce qui nous conforte dans cette idée c’est que les
véritables démocraties modernes, les états républicains, peuvent constituer de
solides remparts contre le recours à la guerre comme l’illustre l’histoire
contemporaine, européenne notamment. Mais attention à l’assoupissement des
consciences, au retour des intérêts particuliers et égoïstes... que peut cacher
la nostalgie d’un retour à une idéologie de l’état-nation (qui, chez nous prend
de plus en plus la forme fallacieuse d’une critique de la communauté
européenne), retour de ce « ressort » psychologique qui consiste à cultiver la
différence pour mieux asseoir son identité et défendre ses privilèges.
Aussi,
l’organisation politique n’est-elle qu’une condition nécessaire mais non
suffisante si elle ne s’accompagne pas d’une véritable conversion des
consciences. En quel sens ?
Paradoxalement, nous vivons une époque formidable puisque
nous est offerte la chance de dépasser la conception simplement négative d’une
paix conçue comme équilibre de la terreur, résultat d’une politique de
dissuasion onéreuse et de course à l’armement (montrer les poings... pour
éviter la bagarre ; cf. la dissuasion nucléaire, par exemple). Oui, un certain
nombre de facteurs vus encore aujourd’hui par nos esprits parfois myopes comme
des difficultés insurmontables sont peut-être les éléments à utiliser pour
changer nos mentalités. N’ayons pas peur des mots : la révolution des
communications développe une conscience planétaire ; les organisations
transnationales non-gouvernementales, la mondialisation du développement
technique et du commerce équitable, même et peut-être surtout les migrations
qui en résultent (combien de nos jeunes vont chercher du travail à l’étranger
avec comme corollaire que des étrangers viennent frapper à nos portes) ne nous
conduisent-elles pas à devoir chercher à concilier universalité et pluralité à
travers la lente et difficile émergence de l’idée d’une humanité universelle
résumée en cette seule exigence : les mêmes droits pour tous (le racisme et le
fanatisme comme rejets de l’autre apparaissant comme un véritable poison source
de guerres possibles) ?
La paix universelle est un défi plus qu’une utopie dans la
mesure où les solutions sont possibles même si elles ne sont jamais faciles car
il y aura toujours des difficultés à résoudre ; par exemple, là où l’ouverture
peut présenter une solution, elle peut aussi, si elle est mal menée, provoquer
la déstabilisation et mener à la guerre ; et la globalisation ne risque-t-elle
pas de mener à la fragmentation et au retour de l’affrontement ?
Contrairement
à l’animal qui se contente de s’adapter, l’homme a toujours la faculté
d’innover et le plus déterminant sera toujours comment est perçu l’autre :
comme un rival ou un frère... mais tout choix a un prix.
Jean
Claude WAGNER